lundi 17 novembre 2008


A Seattle, j'ai écrit :

Je me sentais seul, abandonné, déjà tu avais disparu, tout ce que j'avais en tête c'était l'érubescence de ton teint, la façon incomparablement délicate dont tes lèvres se détachaient de ta peau. Être seul n'était pas si grave, je connaissais. La douleur, c'était cette chute insoupçonnée, se demander si un jour ça allait s'arrêter, si un jour je me sentirai enfin complet et pas à la recherche de plus, de plus touchant, de plus charmant. En t'apercevant boire un café, en te voyant marcher le long du sable, j'avais la sensation précise de savoir ce que je voulais, d'avoir trouvé une sorte de lumière, un axe qui dirigeraient mes sentiments, comme un chemin, tout bête à suivre. Il n'y avait rien de plus parfait que les rayons de soleil dans tes cheveux, ce mouvement que faisait une mèche en battant contre tes épaules semées de taches de rousseur ou de grains de beauté : j'étais trop loin pour distinguer.

Alors j'étais perdu et à perte de vue, le gris, la dégringolade, de ceux qui cherchent à tout prix une prise dans la vie, un endroit où se reposer un peu, quelque chose de stable sur lequel compter, qui arrêterait la chute, la cascade certaine et infinie. Tu me manquais. Tu ne me manquais pas simplement, bêtement, comme un abruti, narcissiquement comme on dit : tu me manques parce que je voudrais que tu m'embrasses, je voudrais que tu me dises à quel point cette chemise Paul Smith me va bien, enfin, je quittais cet espace là, cet amour dégueulasse et égocentrique, qui ne valait rien. Non, tu me manquais, tout simplement car quelque chose manquait, quelque chose n'était pas juste, quand on faisait l'inventaire et le décompte.

Tu manquais à mon monde, à l'ordre des choses, tu aurais du être là et c'est ton sourire que j'aurai du voir chaque matin, et je n'arrivais absolument pas à sortir de cette idée que l'on devait être ensemble et tout simplement s'aimer, faire le marché, choisir des disques. Mais toi tu étais loin, à dix milles lieux de ça, et qu'est ce que j'aurai pu faire ? Alors c'est simple, j'ai suivi Polly et Ruth. Maintenant, je suis dans un couloir, j'ai la carte d'une chambre d'hôtel à la main, et aussi un sachet d'anthrax, je dois le disperser dans les draps, récupérer le dossier sur le bureau, repartir, transmettre le dossier, me garder de le lire.

Je ne sais pas comment je suis censé prendre ça, j'essaye de faire connecter l'événement à quelque chose de tangible mais je sens vide, dépersonnalisé. J'ai Dale au téléphone, il a la voix suraigüe, il insiste pour que je rachète du beurre de cacahuètes, mais aussi des courgettes : Polly a décidé de faire une mono-diète à base de courgettes bouillies, il dit aussi qu'il a loué Taxi Driver, qu'il faut que je vois ça, quand je lui réponds que je l'ai déjà vu il me certifie "impossible, on était pas ensemble !". Être embarqué dans cette bande où ils ont honnêtement tous l'air plus déconnectés les uns que les autres ne me semble pas anormal ou bizarre, c'est juste comme ça, j'arrive à me convaincre que je l'ai mérité et que c'est simplement ce qui devait être.

En glissant le long du mur, sur lesquels sont accrochés des vieilles affiches de concert du Neumo's et du Showbox, j'ai envie de penser à mes parents, je me demande concrètement ce que je fiche là, combien de temps ça pourra durer, et si, ce soir, en m'endormant, j'arriverai ou pas à m'assoupir calmement, sans heurts, pour perdre avec plaisir plusieurs heures de l'existence qu'on est censé rendre fantastique et inoubliable.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est un joli texte vraiment convaincant je trouve... on se prend au jeu et je trouve assez exceptionnel que tu ais su faire - inconsciemment ou non - une "psychologie" du personnage en si peu de lignes. Je ne sais pas bien comment l'exprimer mais je trouve que la manière dont s'exprime le personnage est très cohérente au fil du texte et ça absorbe d'autant plus le lecteur !

-f a dit…

ouh merci alors ! Pour te répondre : c'est conscient -enfin je crois !, et j'aimerai bien réussir à faire ça sur un gros paté de lignes... mais ça on en est loin... Enfin merci beaucoup beaucoup de ton passage et aussi de ta petite manifestation de vie !