vendredi 9 septembre 2011

J'avais décidé, une fois pour toutes, de renoncer aux petites péripéties des histoires d'amour : l'exaltation des premiers rendez vous, les palpitations quand on rencontre la main de l'autre, les portables qu'on fait sonner, les portables dont on attend la sonnerie, l'excitation quand on se mettait enfin, au lit. Foutaises. Tout ça, du narcissisme, rien d'autre. 
Du coup il n'y avait absolument rien de déplaisant à aimer Lou et ses rebiffades. Là, là, c'était vraiment quelque chose. Quelque chose de valable. Je m'en rendais évidemment compte : Lou n'en avait rien à faire de moi. Et plus elle s'en fichait, plus je la voulais. Normal. 
Quand je voyais les couples se préparer pour sortir, s'apprêter, et puis tous ces livres et poèmes s'étalant sur des pages et des pages sur les sentiments, la fébrilité, la confiance, et tous ces trucs tellement éphèmeres, fragiles, ça me donnait envie de vomir. Parce que tout pourrait disparaître, s'abîmer. Devenir nul, habituel, convenu. Mais tant que Lou me rejetait, j'avais tout pour moi.

Je l'avais rencontrée pendant l'été. Elle traînait avec ses amis crânement. Et, rapidement, mon été a eu le goût des regards en coin, furtifs, que je parvenais à attraper, en fin d'après-midi, quand elle se relevait de sa natte après avoir bronzé paresseusement. Elle la repliait d'un geste bref, et, en même temps, ses lèvres fines s'étiraient en sourire. Elle regardait alors au loin en plissant les yeux, et pouvait me voir l'observer. L'été a aussi eu le goût de ces après-midi loupés où je ne faisais rien d'autre que scruter ses mouvements, la regarder étendre ses longues jambes toujours un peu trop maigres, sur lesquelles on pouvait compter, par dizaines, des grains de beauté, mais nos regards ne se croisaient pas, le mien restait suspendu, sans réponse, sans retour, et je me sentais assez crétin.

Un jour, il faisait mauvais, elle était venue seule. Elle avait l'air encore plus boudeuse que d'ordinaire quand elle enleva ses tennis de toile pour marcher pied nus sur le sable. Peut-être s'était elle disputée avec quelqu'un. J'aimais bien inventer la vie de Lou avant et après ses après-midi à la plage. De quoi elle aurait pu déjeuner, si elle s'était levée à 8h ou 11h, si elle était allée faire le marché, si elle avait joué au tennis, si son savon sentait la lavande comme je l'imaginais. J'étais seul aussi, et elle utilisa ce prétexte pour venir à moi. A chaque pas qu'elle faisait vers moi, le monde sous mes pieds glissait un peu plus, et un autre, s'ouvrait. Une armoire des possibles béante, à peu près aussi captivante et terrifiante que sa longue silhouette, surmontée d'une masse rousse informe, bouclée, qui se dirigeait vers moi. Enfin, il allait se passer quelque chose. Les choses n'avait plus d'emprise sur moi, je distinguais tout juste ses hanches, ses chevilles, car tout ce que je voyais c'était son regard, bien planté dans le mien : deux billes marrons. J'aimerai dire qu'elle avait l'air défiante, mais, si j'avais envie de fuir, c'est seulement par couardise et lâcheté, car Lou me regardait l'air tendre et amusé, et, à partir de ce moment là, j'ai su qu'un tas de choses m'échappait.