vendredi 10 octobre 2008

seattle and san francisco and austin and it seems

A l'époque on était une bande, et je me posais seulement peu de questions sur ce qui m'animait ou me poussait à faire ces choses. C'est seulement avec le recul que tout m'apparaît comme bizarre, non-avenu, inconfortable. J'ai toujours été du genre à penser avec la meute, en groupe, de façon grégaire : un suiveur quoi. J'ai essayé, un peu, de me réveiller et de faire par moi-même, mais c'était échec sur échec, alors, quand, en allant manger des pancakes je suis tombée sur Polly et Ruth, j'avais pas besoin de me poser beaucoup de questions, j'ai suivi le mouvement et j'ai participé. C'était en fait un gros soulagement.

Avec le recul, quand je me rappelle des évènements, j'ai pas l'impression d'avoir un poids à porter sur mes épaules ou des trucs à dire. Je ne me sens pas coupable, parce que d'autres ont décidé pour moi. Par contre, je me sens coupable d'être une erreur totale, au point de même pas avoir de libre arbitre. C'est sûr, elle m'en voudrait et me trouverait complètement stupide. A un moment, je crois que j'en ai eu marre de tenter de faire correspondre deux identités : celle du mec qui entreprenait, et celle de l'anonyme qui se contentait d'agir. J'ai pas choisi, c'est par lassitude, ras le bol, que je suis tombé dans la deuxième option.

D'abord, on est allés à San Francisco, c'était l'idée de Polly, et elle était persuadée que c'était là que Lou était partie. Grosse connerie. On dormait dans le Tenderloin, tout simplement parce que c'était l'endroit le plus pratique pour trouver de la meth, même si, ironiquement, c'est dans Castro qu'on voyait le plus de campagne de prévention. Partout : du métro aux sex-shops. Un de nos potes, de la bande, avait posé pour l'une d'elle. "I lost me to meth". La bonne blague. Au début, on avait pris ça comme motif pour l'écarter, il a même du aller faire une campagne à la SFState University, mais après, il nous a appris qu'il avait fait ça pour la tune et pour qu'on arrête de nous suivre partout. Entre Chicago et San Francisco, après une virée dans un 7-Eleven qui s'était mal déroulée (les filles ont fini par tirer sur le gérant), on est devenu parano, et on cherchait n'importe quel motif pour se séparer tous.

En attendant, on habitait sur Jones St, à la jonction avec Taylor. C'était terrible. La masse de trou du cul sans but qu'on croisait à San Francisco dans ce quartier. Ca me foutait sérieusement la nausée quand j'allais au Walgreens acheter les courses pour tout le monde. Va savoir pourquoi, j'étais préposé aux courses. Les filles avaient du ressentir mon caractère de lavette. Elles m'appelaient "Wuss" et parfois "Luc" aussi, et s'amusaient comme des folles pour prononcer le "u". Finalement, c'était quand même du bon temps.

Moi, le fait qu'on soit ensemble, ça me suffisait. Je te cherchais dans ma tête, partout, dès qu'on était dehors, j'étais à la recherche de tes cheveux roux, mais, je me reposais sur le gang. Je comptais sur eux. Ca m'évitait de tout prendre en main. De me demander si je t'aimais vraiment, et surtout, si toi, tu m'aimais vraiment. Je pense que je commençais à avoir des doutes, et, le fait que tout le monde soit persuadé, comme moi, qu'il fallait te retrouver, voilà, ça évitait que je me pose un tas de questions tu vois.

Ruth avait l'habitude de s'habiller dans les friperies, elle traînait toujours à Mission pour ça, et je sais pas pourquoi, j'étais persuadée que ça t'arrivait aussi, alors elle emportait une photo de toi avec elle quand elle sortait. Pourtant, les seules fois où je t'ai vue c'était au bord de la plage : t'étais pas spécialement habillée, tu portais toujours cette chemise à la con, trop grande pour toi, mais je crois que tu l'aimais vraiment beaucoup. Attends. Une fois je t'ai vu à Paris aussi, je venais pour voir une école (finalement je suis resté à xxx), on a pris un café, t'étais d'hyper mauvaise humeur, et c'est là que j'avais réalisé que j'étais amoureux de toi, follement amoureux. C'était tes cheveux, ton nez cassé, ta moue qui boudait pour tout, pour rien, le café que t'as trafiqué pendant 20'. L'amour fou, ça t'habite, c'est tout, après on se pose peu pour réfléchir.

C'est sûrement pour ça, que maintenant j'ai autant de conneries sur les bras à rattraper, mais, c'est ok, c'est ok, parce qu'au moins j'ai vécu des trucs, et j'aurai quelque chose à te raconter quand je te verrais enfin.

vendredi 3 octobre 2008

arigato gozaimass

Tout est dépersonnalisé, gris, moche, ça glisse sur moi, sans aucune importance. Je commence à ne plus savoir pour quoi ou pour qui je fais les choses, je marche dans la rue, je suis tout simplement là et je ne parviens plus à mettre de nom sur ce qui me meut. La rue est pleine, bondée, ça grouille. Je me demande qui, de tout ceux qui fourmillent à côté de moi, ressentent exactement la même chose en ce moment même : à qui la vie échappe, qui a perdu le contrôle ? Je ne sais même plus comment j'ai débarqué ici, j'ai toujours son visage en tête comme si ça servait à quelque chose, mais je m'étouffe avec. Ma souffrance et celle des autres est infinie et je dégringole très sûrement, me départis sans fracas de ce que je pensais à un moment être moi-même. Je m'en veux d'avoir eu la prétention de penser que j'étais quelqu'un et avait quelque chose à faire parmi les hommes,

Je suis devenu un concept, une idée, une entité suspendue dans le temps. Je suis devenue la douleur en soi, un truc inatteignable de pureté, et j'avance parmi les titres de journaux qui annoncent les chutes de la bourse, en me demandant si je peux encore dire "je", si je suis pas tout simplement détaché de moi à cet instant précis, détaché du monde, détaché du vélléitaire, je suis juste de la souffrance, abstraite.

C'est pour ça que je décide de rentrer à l'appart à Shinjuku et vérifier que Tom est toujours mon colloc. D'un coup, le bruit de la rue me revient, c'est envahissant et je ne pense à rien de bon : je voudrais anéantir le futile, les filles qui gloussent, ne faire du monde qu'un espace beau, pur, net, et disparaître ensuite. Mécaniquement je me retrouve dans le métro et la voix raconte des trucs que je comprends pas en japonais, au lieu de me demander ce que, vraiment, je fous ici, et comment je suis arrivé, je me dis que je devrais rapporter des costumes traditionnels à ma nièce et j'ai presque envie de demander à mon voisin où je pourrai trouver ça, mais il a vraiment pas l'air commode alors je garde juste la tête droite, je suis un peu secoué, je descends à mon arrêt, et je regagne l'appart dans lequel j'habite, je crois, temporairement. Le papier peint a de vilaines fleurs, dans des tons violines, j'arrive pas à croire qu'un truc pareil existe encore. Tom doit être là, on entend Bo Diddley depuis le couloir, les volets n'ont pas été ouverts, on voit la poussière voleter à travers les faibles raies de lumière qui traversent le salon. La vaisselle de trois semaines est étalée partout, et je me demande si je vais enfin recevoir un appel de Laura qui est à mon avis responsable de tout ça.

Je suis très loin d'elle maintenant, et comme je pense l'avoir perdu pour toujours, je considère que ce qui est arrivé n'est finalement pas si grave : j'ai moins de culpabilité, et ça me va très bien, si bien que je m'asseois là, sur le canapé défoncé qui pue le chien (il y avait un chien hier ou avant hier, qui accompagnait un mec avec une crête) et j'envisage ce qui va arriver avec une lucidité très nette : Laura va m'appeler, Tom écoute de la musique, ça arrive de ressentir le besoin de tuer quelqu'un. Je me félicite de ma clairvoyance en choquant un bonbon poisseux contre mes dents et puis je me dis qu'il faudrait quand même que je lui raconte ça.

mercredi 1 octobre 2008

crimewave




Tu vois, je suis dans un aéroport ce matin, je me suis acheté un café dégueulasse, trop amer, les "cafés de station service" que tu détestes aussi, mais je m'en fous, j'attends juste tes jambes, le creux de ton aine, tes cheveux envahissants. Ca va durer qu'une semaine, et je m'en fous, je m'en fous, j'y réfléchis même pas, c'est comme ça : je dois te voir, je m'en fous que tu comprennes pas, que tu te fiches de moi, que tu sois égarée, que t'ailles pas à tes cours, que ta chambre soit en bordel, que ta copine soit plus jolie, plus parfaite, plus intelligente, je m'en fous, je prends l'avion, je traverse un océan, un petit bout de continent, je viens te voir, je serai à ta porte et je m'en fous bien quand tu joues à celle qui fuit.
Bon, dans toute ma logorhée j'ai pas entendu qu'on appelait le groupe 3 (moi) depuis 15', je rassemble mes impedimenta (pas grand chose, un sac à dos qui contient un bouquin - Premier Amour, et mon ipod, et un hoodie Element), je donne d'une main aveugle mon "billet électronique", on me rend une carte d'embarquement maigrichonne, le truc ridicule, qu'on a plus aucun intérêt à garder comme relique tellement c'est moche et lâche, en pénétrant dans la cabine, je me félicite totalement sur la bravoure dont je fais preuve, à quel point je connais l'amour pur, l'amour présent, en ce moment même. Je me félicite pas pour moi, juste pour ce que la vie m'a donné : t'imagines toi, connaître ça : le besoin de polluer comme un gros crasseux l'atmosphère, juste pour voir une personne, qui répond pas à tes textos ? Bon. Moi j'imaginais pas faire ça, mais ses cheveux roux et ses grandes jambes maigres me manquent, alors fuck it, je viens.

"American Airlines wish you a pleasant flight". Les hôtesses sont laides et fatiguée, où est le putain de fantasme ? La réalité, c'est que je vole avec American Airlines, la compagnie du 11 septembre, parce que c'est la plus cheap, mais aussi pour faire chier mes parents. Qu'est ce qu'elle fout à Chicago de toutes manières cette dingue? C'est même pas la peine d'essayer de répondre à cette question : apprécie juste le vol, le simple concept de traverser l'air à xxx km/heure. Comme je suis un garçon prévoyant (à part quand il s'agit de tomber amoureux : faut toujours que je m'amourache de cas sociaux finis), j'ai blindé mon ipod des dernières recommandations de Pitchfork, quand l'hôtesse (toujours laide, toujours fatiguée, et avec du rouge à lèvres sur les dents, fuckin' gross) passe, je demande un thé, et je le sirote en regardant les nuages, en imaginant sa moue ingrate, en cessant de l'imaginer car j'ai un mauvais pressentiment ensuite.

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Débarquer dans une ville que tu connais pas, c'est toujours pour moi hyper excitant : tout le monde vit, sans toi, les gens qui veulent un Starbucks, ils vont chez Starbucks, les gens qui quittent leur taf, ils quittent leur taf : bref tout le monde vit sa vie, c'est chouette, c'est ordonné, mais, si les mecs de Google Streets passaient par là, tu serais sur le paysage, comme tout le monde, un intrus, mais dans le monde. Putain de cool comme pensée. J'ai récupéré mon sac facilement, maintenant, je l'ai sur le dos, j'ai pris un taxi pour arriver en centre ville, il est 16h, il fait un peu froid, mais après dix heures enfermé, c'est plutôt agréable, alors je me pose juste, une carte à la main, que j'ai acheté avant de partir (prévoyant je te dis) pour essayer de me répérer un peu. Je suis pas loin de son uni', mais, la connaissant, je sais pas si elle est allée en cours. Si même elle y a déjà mit les pieds. Emmerdant. Mon portable est sorti de ma poche, et je me rends compte que je suis en train d'hésiter à lui envoyer un message. On est censé faire quoi au juste quand la personne qu'on aime inconditionnellement te répond plus, fait semblant que t'existes pas ? J'ai toujours pas trouvé la réponse, et là, je suis super loin de chez moi, j'ai un peu de tunes mais pas trop, mais surtout, j'ai juste envie de me blottir contre elle, de sentir sa nuque, et, en réalisant que c'est moins simple que juste prendre un billet d'avion en ligne, j'ai vraiment envie de m'affaler par terre, le gros sac à mes côtés, et pleurer un peu.

A la place, comme je suis pas un connard abattu, je me retrouve dans un super café à engloutir des pancakes servies par une fille super mignonne aux cheveux courts : la vraie vie. Comment ça se fait que toutes les serveuses dans les grandes villes américaines soient exactement mon type de fille ? J'aimerai bien ne pas être obsédée par L. pour pouvoir tenter un truc : rien qu'avec mon accent français, ce serait assez facile. Elle me regarde du coin de l'oeil avec sa copine (carré, frange, slim déglinguo qui a du être noir dans une autre vie, marinière en dessous d'un cardigan trop grand), moi j'avale de grandes gorgées de café, je vide le sirop d'érable dans mon assiette, j'ai l'impression géniale de pas avoir mangé depuis mille ans. Finalement, c'est la première serveuse, avec ses cheveux super courts qui revient me voir et me propose de sortir ce soir, des potes à elle font un concert. Ecoute ouais. Je lui demande où je peux dormir, elle me file l'adresse d'une auberge de jeunesse, me dit aussi que je peux juste laisser mes bagages à la consigne et venir la chercher d'ici 2h ici. Bon, elle a l'air jetée d'une manière autrement plus sexy que l'autre névrosée qui va jamais en cours et s'expatrie du jour au lendemain, alors qu'un mec comme moi l'aime, alors tout simplement, j'accepte.

A partir de ce moment là, les trucs s'enchaînent, les visages se confondent, je te cherche toujours, mais je perds du temps en étant entraînés dans des plans pas très logiques.