mardi 23 septembre 2008

glauque

Fin de journée. Je suis étalée, comme abattue sur mon lit. L'air est frais, délicat : je frissonne légèrement. La journée se termine et rien n'est venu la troubler. Je pense aux oisives des années 20, qui utilisaient la fin de journée, cette grosse déprime, comme un prétexte pour se changer et boire de l'alcool. L'heure des cocktails. J'aimerai en être. Je me dis "on a perdu de bonnes traditions". Avoir une excuse pour passer une robe propre. Elégante. Troubler l'ennui par une réunion sans conséquence. Prendre de l'avance sur l'emploi du temps. Bref me réjouir capricieusement de la liberté parfaite qui m'est octroyée.

Dans quelques minutes, Lou va débarquer avec son solex, je vais l'entendre pétarader du fond de la rue. Elle utilisait ce solex uniquement l'été, avec un snobisme certain. Il faut dire, aussi, que le pauvre engin est si usé, qu'en marchant à bon pas sur ses flancs, on le dépassait. Qu'importe, Lou retrouvait sans cesse avec un plaisir intact son solex rouillé. "C'est l'été", disait elle. Elle avait fière allure lorsqu'elle le pilotait, le panama de traviole, tirant la langue à nos moqueries, lorsqu'on lui donnait rendez vous "à la maison".

C'était un vrai mystère pour nous, cette fille peu révérencieuse, qui enfourchait comme un garçon ses bicyclettes, vêtue de chemises trop grande qu'elle laissait ouverte, marchant pieds nues depuis la plage, jetant à la va vite ses sandales, de bon cuir pourtant, dans son panier. Elle en avait lancé la mode, dans les bandes de copines qu'on croisait sur le remblai.

On louait chaque année la même villa et on savait ainsi où me trouver, dès qu'on quittait le lycée. C'était comme ça, c'était immuable. Sur ma réclamation, on ne s'était pas débarassés des coquelicots qui envahissaient le jardin de devant. Les propriétaires de la maison d'à côté avaient changé, ma mère a déclaré qu'ils avaient du goût au vu des travaux qu'ils avaient effectués (une nouvelle palissade), ainsi c'était définitif : nous étions chanceux. L'été débutait seulement, et je me demandais de quoi il serait fait, si le solex survivrait à deux mois de labeur estival, de quoi avaient ils l'air, les nouveaux voisins. C'était le tout début, et tout était possible, à l'état de promesse.