jeudi 21 mars 2019

Disorder

Chaque moment, chaque instant, chaque journée et chaque semaine libre sont occupés par ces interrogations, je les reprends là où je les avais laissées et parfois il y a des retours en arrière, des rebuffades et des ratures. Jamais FECONDES. En fait j'ai l'impression de m'occuper finalement juste pour les éviter, les fuir et ne pas me les poser. #divertissement anyone ?

I've been waiting for a guide, to take me by the hand... Est-ce qu'un jour je ne compterai pas sur les autres, pour prendre des décisions pour moi ? Où vivre, que faire de ma peau ? Je suis lente, mais lente, je prétends aux autres qu'il faut du temps, qu'il faut que les choses se révèlent ou se décantent, mais soyons honnête, quand je veux vraiment un truc, quand j'en ai vraiment envie, je l'obtiens - il faut parfois faire preuve d'un peu de patience soit, mais je me donne du mal et place toutes mes forces dans la même direction. Et donc là ? Et bien là, les forces se dispersent, il n'y a pas franchement de stratégie - si ce n'est la fuite, et on ne suit pas un ordre de bataille rangée. 

Au moindre silence tout cela me surgit à la gueule sans crier gare, et bien sûr ce que je me dis, c'est que je devrais consulter cette gamine de 16 ans, que j'ai pourtant bien été, qui faisait tout avec évidence, et confiance, savait ce qu'elle voulait, choisissait en toute indépendance, ou en tout cas en avait le sentiment. Et le sentiment, c'est bien suffisant, qu'y a-t-il d'autres de toutes façons ? Qui compte-je leurrer ? J'en viens parfois à un point où je ne sais pas si j'ai bien le droit de revendiquer cette liberté, si elle ne serait pas trop encombrante, alors qu'au fond, je veux juste saisir la lumière, les soleils, les quelques journées qu'on a ici, qui nous ont été octroyées, pendant un court espace de temps.

mercredi 6 mars 2019

Cendres

40 jours.

Quand j'étais enfant je m'appliquais à jouer davantage de violon, m'efforçais de faire les exercices de solfège, de la méthode bleue, puis verte (ou bien était-ce l'inverse) chaque jour, sans attendre que Maman ne me le rappelle. A la cantine il y avait "le bol de riz", j'avais l'impression que c'était un seul mot : c'était l'opération bolderi, le premier lundi du Carême ou bien le dernier avant Vendredi Saint je ne sais même plus. On rassemblait les boîtes de conserve, les paquets de pâtes, dans des cartons posés dans un coin de la classe, souvent c'était aussi le moment des pièces jaunes, et il était possible de se confesser chaque semaine à l'aumônerie, grâce à un service renforcé pendant ce temps fort qu'est le Grand Carême. En quelques sortes on thésaurisait la pénitence, de quoi mettre de côté pour quelques mois, se donner une petite avance pour le Royaume des Cieux ou bien, option un peu plus Realpolitik, les adultes profitaient de cette tendresse qui caractérise certains enfants et qui les rendent particulièrement sensibles au conformisme pour leur donner un sens moral. Faire provision de valeur, de droiture et de rectitude.

Une enfance catholique. Avec des moments d'ennui à la messe, à inspecter chaque smock de la robe que ma mère avait choisie, les dimanches scouts, les heures de catéchèse où on était invités à discuter de la parole du Christ et à mettre en dessin les Evangiles. Si mon grand-père était encore en vie, est-ce qu'il serait fier de ce que je suis devenu ? Aurait-on ces conversations que j'imagine parfois, sur le péché, la liberté, le sacrifice, la beauté ? Est-ce puéril de vouloir sauver son âme, et de souhaiter que l'âme de tous ceux qu'on aime le soit autant ? De se surprendre, parfois, à avoir envie de prier, d'aller à l'église ?

J'ai encore besoin de ce temps, que j'associe à la quiétude et au repos. Cela fait 3 ou peut-être 4 ans que je fêtais à l'orthodoxe, Maslenitsa, parce que pourquoi se priver de vodka et blinis en bonne compagnie, cette année le carême a débuté avec les mêmes amis, et, ce matin, un mal de tête, de toutes façons, invite effectivement au discernement et à la réflexion.

vendredi 1 mars 2019

Les petits matins

Les petits matins d'hiver, brumeux, où l'on se réveille calmement et l'on craint de déposer les pieds nus contre le sol, qu'on sait d'avance trop froid, par rapport à la chaleur douillette du lit dont on s'est pourtant extrait avec un relatif entrain, sont mes préférés. Plus spécifiquement quand l'hiver touche en fait à sa fin, que la lumière est revenue, et que tout semble possible.

En fait la nature ne s'arrête pas : on croit qu'elle est au repos seulement pour manquer d'attention. Le bourgeon se forme, la branche s'allonge dans cette drôle d'excroissance, très jeune, très tendre, il suffirait d'un rien pour compromettre son éclosion, une pression du pouce et de l'index, qu'on rassemblerait comme la prise d'un crabe un peu cruel, mais dans un déterminisme implacable et à moins que l'on arrête dans un sadisme non contenu son mouvement, il continue de pousser et de croître, au rythme qui est le sien, que n'accélèrera qu'une activité un peu plus soutenue des rayons solaires. A cela nous ne pouvons rien faire, nous sommes ravalés à l'humble place de l'observateur. On peut toujours compter sur les bourgeons et cette seule certitude devrait suffire à tous, collectivement, nous rassurer. Même sous les couches et les couches de neige, sans qu'on le voit, de façon imperceptible pour l'oeil non aguerri, ça travaille.

En dépit du quotidien, des horaires à tenir, de ce qu'il ne faut pas manquer, du calendrier et du nécessaire autant que grotesque emploi du temps en effet, ça travaille. Le souffle qui nous traverse, cette petite voix intérieure ne se fait pas toujours entendre : elle doit elle aussi lutter contre les éléments, et surtout, contre la précipitation, le vacarme du monde, mais bien présente, enracinée, elle est aussi certaine que le printemps. Tout revient, tout est là pour revenir. Et parfois, de façon tout à fait absurde, exactement dans la même forme et avec la même fragilité alors que le temps a passé - la tulipe, l'orchidée, la primevère, reviennent à l'identique, et dans une forme de phylogenèse individuelle, nous mêmes nous semblons renaître sans rien avoir perdu d'autrefois.

On pourrait croire que rien ne se perd parce qu'au fond tout se transforme, mutatis mutandis, ou bien qu'il y a bien des choses qui tombent absolument et résolument dans l'oubli : les histoires de nos parents, de nos grands-parents et de nos arrière grands-parents, certains sentiments, certaines convictions (et parfois c'est tant mieux), on perd le passé et l'on s'allège pour mieux s'alourdir d'autres considérations, en accord avec son temps, du contemporain si l'on veut, de l'actuel, ce que l'on perd peut avoir la taille de tout un pays, des années complètes ou bien des personnes entières que l'on croit pourtant avoir aimées. Mais il y a aussi ce qui revient tel quel, ce qui timidement, parce que ce n'était au fond pas attendu, se redonne à voir, se présente à nouveau, dit "je suis toujours là", ce qui au coeur constitue le véritable fondement de notre être et que l'on avait sans doute un peu oublié et négligé.
Ce que je suis est parfois enseveli ; une fois "dans le monde du travail" - le monde donc, l'espace de relations, qui n'est pas l'espace de la vie, de l'amour ou de la saine et légitime contemplation, le véritable travail de tous les instants est de ne pas me sacrifier et protéger mon essence - exactement comme l'essence du parfum qu'on souhaiterait conserver tout au long de la journée et qu'il serait très indélicat et assez vulgaire de ré-appliquer, à intervalles temporels réguliers, comme pour se rappeler à soi-même et à autrui. Au fond, on veut que les performances de l'élixir de notre choix soit telles que notre fragrance nous suive, naturellement, d'elle même, tout au long de la journée, dans tous nos mouvements, se déclinant même au fil des heures qui s'égrènent comme pour mieux épouser notre être, la fatigue et l'usure du jour. L'essence, dans toutes les variations de l'être et de l'acte d'exister, se doit de demeurer, d'être encore et toujours là. C'est sans doute cela, plus encore qu'être soi, être soi-même. Être parvenue à ne plus faire négoce. A ne plus faire bon marché de soi, à ne plus se céder à vil prix.

Et qu'il s'agisse de l'acte pur d'exister, de se sentir au monde par ses choix, sa détermination ou sa présence ou de comprendre, subitement, ce qui fait que nous sommes nous et pas un autre, bref la révélation de l'être même est toujours une grande joie, indicible et qu'on ne peut communiquer. A chacun de la ressentir pour soi : en voyant défiler un paysage de son wagon de train, face à un film (de préférence japonais dans mon cas), en dévorant une brioche ou des petits choux à la crème ou en prenant son enfant dans les bras. Puis, comme on dit dans les recettes de cuisine "à réserver pour plus tard" : entourer de toutes les précautions nécessaires ce sentiment naissant, en le protégeant jalousement.