mercredi 19 mars 2008

baby i'm not cool

La lumière du hall est vive, trop vive, beaucoup plus vive que d'habitude. Je sens le poids pesant de ma tête au dessus de ma nuque, je m'accroche à lui, tire sur sa chemise, mes jambes se dérobent, mes talons se font la malle, je le savais, je le savais qu'ils étaient bien trop hauts, ils glissent, je rattrape tant bien que mal mon équilibre en tirant de plus belle sur son bras. Les genoux tordus, la paume bien renfermé sur son avant bras charnu, mes yeux patinent, je m'enfonce d'un coup dans l'ascenceur, en me cognant contre les parois.

J'enfonce péniblement la clé dans la porte, trébuche en pénétrant chez moi, j'entends son pas traîner, un peu comme si il me marchait dessus à son tour. Sans un mot l'un pour l'autre, on gagne en tatônnant ma chambre.

Un beau manège dans mon cervelet : trop ivre pour réaliser tout à fait tout ce qui arrive, ma bouche est sèche et je la sens béante. Il faut enjamber les lectures pour la fac qui s'empilent dangereusement, mes pieds se prennent dans les fringues que j'ai essayées tout à l'heure et laissées en fatras pour la robe Z&V sur laquelle j'ai jeté mon dévolu (lainage, noire, mi-cuisses, joli et plongeant col V, j'étais très sûre de mon choix, et elle m'a rendu service ce soir). Dans ma tête je réclame à boire, à manger, des baisers. Au lieu de ça je m'effondre sur le matelas qui occupe un coin de ma piaule, j'ouvre brusquement une boite de DVD, ça fait un gros bruit, beaucoup plus fort et intense que ce à quoi je m'attendais, et fous aveuglément Lost In Translation dans le lecteur.

J'ai déjà vu ce film je pense : je reconnais le blond-roux de l'héroïne, mais je végète tout de même devant jusqu'au bout. Le film passe rapidement, à côté de moi, Luc s'est déjà endormi et va même jusqu'à ronfler. C'est bizarre mais toute cette scène me touche beaucoup. Son visage au repos, éclairé par l'écran de la télévision, ses soufflements apesantis par le sommeil, ses lèvres entrouvertes, quelques secousses traversant son corps encore habillé. Lorsque je me tends vers lui pour le libérer de sa chemise, j'entends quelques grognements, sa respiration, le frottement des boutons contre le tissu, mon front retentit alors de tous ces bruits débiles, j'ai l'impression de n'avoir jamais mieux regardé son grand corps, chacun de ses muscles défaits que ce soir, à la lueur de l'écran de la télé. Je me recrocqueville, embrasse la tiédeur de sa nuque, enroule mes jambes contre les siennes. Mon souffle s'accorde sur le sien, je soupire en m'endormant.

jeudi 13 mars 2008

you can moan

Je penchais la tête vers lui pour l'embrasser, ce goujat fait un mouvement de recul : et voilà ma nuque suspendue avec ridicule. Un peu d'humiliation aussi. Je pince mes lèvres, me rebiffe, un vrai cheval hargneux, c'est pas croyable. Il est là, droit dans ses baskets de preppy pourri, l'air concentré, plein de mesure, de bon sens, comme équilibré et serein. Pas croyable.

Je me redresse d'un coup, mes maigres talons sous les cuisses, replace la mousseline de ma jupe, c'est de la décence, de l'élégance qu'il veut. Pas une fille qui fout le camp, les cheveux en vrac et emmélés, des brins d'herbes qui marquent la peau. D'accord, d'accord. J'avale le message, je l'enfouis ma candeur, ma précipitation débile.

C'est malheureux ce sérieux. Qu'est ce qu'on en fait du sérieux ? Des chapelets ennuyants, c'est tout. Une protection contre les blessures d'ego qui finissent irrésistablement par nous meurtrir : c'est ça la vie, tu peux bâtir des digues et des remparts, viendra toujours l'instant, où tes deux bras faiblards ne suffiront pas : ça rompt, ça se déverse, et la souffrance est toujours la même : aigüe, amère, vaine. A quoi ces longues listes de principes vont bien pouvoir me servir, quand, au fond de moi, dans tous les creux et les recoins, il y a tout ce qu'il faut, toute une vie à vivre et à projeter. Je me fous des tâches, des failles. Des fuites de lumière, voilà tout ce qu'on risque : la belle affaire.

Je fais ma plus belle moue, cet idiot, ça le fait sourire, il m'attire contre lui, de ses grands bras crétins, il chuchotte "quelle entêtée tu fais...". Entêtée et capricieuse, indéfendable, toute l'irrévérence dont le monde a été capable, c'est bien inscrit dans ma sale tête insupportable, dans les jambes que j'étends pour lui faire croire que ma fierté n'est pas écorchée. Plus par vexation que par conviction profonde, j'ajoute : "c'est pas mon problème si t'es comme ça. Et puis je dois aller travailler ma philo."

Sur-ce, je bondis, m'ébroue à renforts de grands gestes, et cours en direction de la villa. L'herbe asséchée me pique les chevilles, je sens la lumière décroissante du soleil dans mon dos, intérieurement je me convaincs "c'est vrai que tu dois finir ces pages de Husserl après tout.", mes cuisses se déplient au fur et à mesure de ma course, je pense à Husserl, à l'expression autoritaire, presque péremptoire du visage de Luc, à la nonchalence qu'arborera avec habitude mon père à l'heure du dîner et à la sottise des femmes qui l'accompagnent : tout se mélange, et la seule chose belle et un peu plaisante dans tout ça, c'est la couleur que prend la forêt de pins en fin de journée, à quel point le monde sait tout à fait vivre sans mon inhérente stupidité.

lundi 10 mars 2008

just somebody that i used to know #1

en mars je vis avec l'envie perpétuelle de voyager, je m'imagine vivre ailleurs, je tombe amoureuse d'un tas de blogs scandinaves sans rien piger aux textes qui accompagnent les photos et j'attends le 19 avril, incrédule, je me casse beaucoup la tête, je regarde les diapos de la mère de J., je suis en vacances avec entrain, et je retourne en cours avec entrain, je m'en veux de pas prendre assez de photos, je m'en veux de pas assez écrire, je m'en veux un peu quoi, mais j'ai beaucoup d'énergie et ma nouvelle coupe de cheveux me plait tellement que j'envisage de la garder le mois prochain.

lundi 3 mars 2008

just like everybody else does

Allongée sur le lit, la tête en arrière, je pense aux échecs que je rencontrerais dans la vie. Ces blessures qui viennent te marquer, limiter ton champ d'action et te faire ravaler ta fierté. Mon père ne m'a jamais trop prévenue contre les échecs, peut-être en a t'il connu peu. Les échecs : les ornières de nos existence, il s'agit de passer dessus sans y laisser une cheville.

Au petit-déjeuner tout à l'heure, je m'étire et je pense sans aucune componction, à ce qui m'attend aujourd'hui. Luc m'attend, il voudra sûrement déjeuner avec moi. Je n'en ai aucune envie : je me lasse. Pourquoi continuer à faire semblant ou jouer une piètre comédie... mes sentiments sont capricieux, et mes amours rares, violentes et intérimaires. Le regard de mon père sur moi me conforte dans ce bon projet : n'en faire qu'à ma tête de moineau. Tant pis !

A présent, le dos nus contre mes draps un peu tièdes, je m'over-ennuie. Si seulement Anne n'avait pas pour moi ce visage de mépris, lorsque je ris de toutes mes dents, je ne traverserais pas cette phase stupide d'introspection. Son imperturbable délicatesse vient tout bousculer, je réalise que je suis une ineptie, je voudrais enfouir ma tête sous un nombre certain de strates géologiques, qu'on me retrouve belle, grandie, superbe, et surtout, silencieuse.

Est-ce possible de se sentir aussi inadéquate, déplacée, être ainsi déchirée, entre remords et aspiration au plaisir ? D'ici une dizaine de minutes, j'entendrai son pas délicat, ses sandales de beau cuir qui fouleront légèrement la terrasse, une rage poisseuse s'empare de moi : ma jalousie est exacerbée, son élégance ne la quittera donc jamais : il faut même qu'elle arrose son camélia avec distinction.