vendredi 3 octobre 2008

arigato gozaimass

Tout est dépersonnalisé, gris, moche, ça glisse sur moi, sans aucune importance. Je commence à ne plus savoir pour quoi ou pour qui je fais les choses, je marche dans la rue, je suis tout simplement là et je ne parviens plus à mettre de nom sur ce qui me meut. La rue est pleine, bondée, ça grouille. Je me demande qui, de tout ceux qui fourmillent à côté de moi, ressentent exactement la même chose en ce moment même : à qui la vie échappe, qui a perdu le contrôle ? Je ne sais même plus comment j'ai débarqué ici, j'ai toujours son visage en tête comme si ça servait à quelque chose, mais je m'étouffe avec. Ma souffrance et celle des autres est infinie et je dégringole très sûrement, me départis sans fracas de ce que je pensais à un moment être moi-même. Je m'en veux d'avoir eu la prétention de penser que j'étais quelqu'un et avait quelque chose à faire parmi les hommes,

Je suis devenu un concept, une idée, une entité suspendue dans le temps. Je suis devenue la douleur en soi, un truc inatteignable de pureté, et j'avance parmi les titres de journaux qui annoncent les chutes de la bourse, en me demandant si je peux encore dire "je", si je suis pas tout simplement détaché de moi à cet instant précis, détaché du monde, détaché du vélléitaire, je suis juste de la souffrance, abstraite.

C'est pour ça que je décide de rentrer à l'appart à Shinjuku et vérifier que Tom est toujours mon colloc. D'un coup, le bruit de la rue me revient, c'est envahissant et je ne pense à rien de bon : je voudrais anéantir le futile, les filles qui gloussent, ne faire du monde qu'un espace beau, pur, net, et disparaître ensuite. Mécaniquement je me retrouve dans le métro et la voix raconte des trucs que je comprends pas en japonais, au lieu de me demander ce que, vraiment, je fous ici, et comment je suis arrivé, je me dis que je devrais rapporter des costumes traditionnels à ma nièce et j'ai presque envie de demander à mon voisin où je pourrai trouver ça, mais il a vraiment pas l'air commode alors je garde juste la tête droite, je suis un peu secoué, je descends à mon arrêt, et je regagne l'appart dans lequel j'habite, je crois, temporairement. Le papier peint a de vilaines fleurs, dans des tons violines, j'arrive pas à croire qu'un truc pareil existe encore. Tom doit être là, on entend Bo Diddley depuis le couloir, les volets n'ont pas été ouverts, on voit la poussière voleter à travers les faibles raies de lumière qui traversent le salon. La vaisselle de trois semaines est étalée partout, et je me demande si je vais enfin recevoir un appel de Laura qui est à mon avis responsable de tout ça.

Je suis très loin d'elle maintenant, et comme je pense l'avoir perdu pour toujours, je considère que ce qui est arrivé n'est finalement pas si grave : j'ai moins de culpabilité, et ça me va très bien, si bien que je m'asseois là, sur le canapé défoncé qui pue le chien (il y avait un chien hier ou avant hier, qui accompagnait un mec avec une crête) et j'envisage ce qui va arriver avec une lucidité très nette : Laura va m'appeler, Tom écoute de la musique, ça arrive de ressentir le besoin de tuer quelqu'un. Je me félicite de ma clairvoyance en choquant un bonbon poisseux contre mes dents et puis je me dis qu'il faudrait quand même que je lui raconte ça.

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