dimanche 18 mai 2008

uneasy

Peut-être faut-il commencer par le début.

Il y a bien quelqu’un. Ses cheveux bruns, ses pas forts et puissants, sa voix du matin, le bruit du petit déjeuner qu’il prépare : du thé, des croissants, que je mange avidement à peine habillée. Je suis parfois là, dans ses bras. Comme une autre avec une autre langue et des cuisses plus fines. Je suis toute entière amoureuse de lui. De sa peau, de sa tête, de ce qu’il lit, de la musique qu’il écoute mélancoliquement, de la ligne de métro qui le ramène chez lui. J’ai un peu de sa vie, il a beaucoup de la mienne. Les pensées futiles du soir, les caresses que je fais maladroitement, les lettres stupides que j’écris sans les terminer et qui finissent, invariablement par alimenter la corbeille de mon petit bureau.

Tout ça dans les veines, ça me rend léthargique. C’est juste une façon molle et lénifiante de s’effondrer, j’en suis persuadée. Ce sont de pauvres injections, pour mieux me remplir de vide, du faux qui m’éblouit, me prend et me fait ramper. Car je ne colle pas. Il y a des cases, il faut les épouser, avec la bouche, les courbes, le regard de biche apeurée. Et moi, je compte plutôt les cicatrices, les grosses marques qui désolent, ma tête penchée, hâtive, sans grâce. Mais j’essaye et je trébuche.

Ca devient un peu fatiguant, de vivre avec ce perpétuel sentiment d'imperfection, cette évidence à laquelle je dois me rendre. On m'a longtemps fait croire qu'être femme ça s'apprenait, et qu'il fallait l'apprendre. Chaque petit point, assortir les couleurs, avoir une voix douce, minauder, on en devenait une charmante plante vénéneuse. Il n'y avait même pas lieu de délibérer, l'horizon, c'était ça. Aimer, être aimée, savoir être aimée. Quelle fatigue.

Je suis tombée amoureuse de ce type, je suis engluée dans cette relation, ça tourne en rond, ça tourne en rond, et ça m'irrite rapidement. J'attends ses signes, tapie dans un tout petit coin de sa vie, j'attends, j'espère, j'ai peur d'en faire trop, qu'il se lasse, qu'il s'étonne, je m'étends délicatement et avec timidité, lorsque j'aimerai m'étaler sans vergogne.

Mais est-ce que j'aurai seulement le droit d'aimer quiconque sans vergogne, imposer tout ça à un pauvre malheureux qui n'a rien demandé, et surtout pas mon attention poisseuse. Je suis là, je voudrais entrer dans leur vie, devenir indispensable, être la première appelée, être aimée de manière inconditionnelle, malgré toutes mes imperfections et mes impatiences, et d'ailleurs, non, qu'il aime même mes impatiences, qu'il me trouve ridiculeusement charmante en tous points.

Mais j'attends les coup de fils, les heures libres, la bande passante de cerveau. J'en deviens mauvaise, envieuse, une vilaine sans précédent. Je la connais par coeur, ma petite chambre, à force d'attendre dedans : les parties du mur fissurées, ma fenêtre dont la peinture blanchâtre se décolle, les jaunissures du plafond.

Mon père se désolerait, et, au fond de moi, j'entends bien ses reproches. Ca me donne mauvaise mine. Alors je lui mens, tout va bien, super bien, super les études, super les amours, bonjour la vie. En rentrant de ces déjeuners que j'apprécie - il a toujours eu pour moi le plus doux des regards, j'étreins de nouveau ma tristesse, je la retrouve là où je l'avais laissée : ballante et grise. Elle m'accompagne de nouveau, comme une seconde peau rassurante dans laquelle on se noie mais que je délaisse sans regret une fois entourée, lorsqu'avec plaisir je ris et suis légère, charme sans conséquence.

Au bout de la nuit, toutes les humeurs sont finalement les mêmes. La joie succède au chagrin qui remplace l'ivresse qui annule la peine. Je me fatigue comme une brave bête avec toutes ces émotions à éponger, j'aimerai avoir son calme, à elle, sa distance, ça préserve la dignité. Tout semble facile et comme ordonné, lorsque dans mon système à moi, c'est la guerre perpétuelle, un champ de bataille qui se prolongerait sans trêves. Je nourris souvent un petit espoir, à trente ans, ça sera différent.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'aime tellement ce texte, il est magnifique je trouve. Même si on ne vit pas exactement la même situation que toi (et en supposant que c'est complètement inspiré de ta vie), on peut se retrouver dans pas mal de trucs que tu décris ("mon système à moi, c'est la guerre perpétuelle, un champ de bataille qui se prolongerait sans trêves") c'est beau, touchant. Vraiment j'adore, et tu écris très bien, si jamais tu en doutais :)