jeudi 13 mars 2008

you can moan

Je penchais la tête vers lui pour l'embrasser, ce goujat fait un mouvement de recul : et voilà ma nuque suspendue avec ridicule. Un peu d'humiliation aussi. Je pince mes lèvres, me rebiffe, un vrai cheval hargneux, c'est pas croyable. Il est là, droit dans ses baskets de preppy pourri, l'air concentré, plein de mesure, de bon sens, comme équilibré et serein. Pas croyable.

Je me redresse d'un coup, mes maigres talons sous les cuisses, replace la mousseline de ma jupe, c'est de la décence, de l'élégance qu'il veut. Pas une fille qui fout le camp, les cheveux en vrac et emmélés, des brins d'herbes qui marquent la peau. D'accord, d'accord. J'avale le message, je l'enfouis ma candeur, ma précipitation débile.

C'est malheureux ce sérieux. Qu'est ce qu'on en fait du sérieux ? Des chapelets ennuyants, c'est tout. Une protection contre les blessures d'ego qui finissent irrésistablement par nous meurtrir : c'est ça la vie, tu peux bâtir des digues et des remparts, viendra toujours l'instant, où tes deux bras faiblards ne suffiront pas : ça rompt, ça se déverse, et la souffrance est toujours la même : aigüe, amère, vaine. A quoi ces longues listes de principes vont bien pouvoir me servir, quand, au fond de moi, dans tous les creux et les recoins, il y a tout ce qu'il faut, toute une vie à vivre et à projeter. Je me fous des tâches, des failles. Des fuites de lumière, voilà tout ce qu'on risque : la belle affaire.

Je fais ma plus belle moue, cet idiot, ça le fait sourire, il m'attire contre lui, de ses grands bras crétins, il chuchotte "quelle entêtée tu fais...". Entêtée et capricieuse, indéfendable, toute l'irrévérence dont le monde a été capable, c'est bien inscrit dans ma sale tête insupportable, dans les jambes que j'étends pour lui faire croire que ma fierté n'est pas écorchée. Plus par vexation que par conviction profonde, j'ajoute : "c'est pas mon problème si t'es comme ça. Et puis je dois aller travailler ma philo."

Sur-ce, je bondis, m'ébroue à renforts de grands gestes, et cours en direction de la villa. L'herbe asséchée me pique les chevilles, je sens la lumière décroissante du soleil dans mon dos, intérieurement je me convaincs "c'est vrai que tu dois finir ces pages de Husserl après tout.", mes cuisses se déplient au fur et à mesure de ma course, je pense à Husserl, à l'expression autoritaire, presque péremptoire du visage de Luc, à la nonchalence qu'arborera avec habitude mon père à l'heure du dîner et à la sottise des femmes qui l'accompagnent : tout se mélange, et la seule chose belle et un peu plaisante dans tout ça, c'est la couleur que prend la forêt de pins en fin de journée, à quel point le monde sait tout à fait vivre sans mon inhérente stupidité.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

je me figure, je me peins la scène au fil de tes mots. il y a tellement de fraicheur, presque de la pureté.
je me surprends à me demander si Luc est bien BF, c'est tellement différent de là-bas.
Mais je découvre ta plume sous un autre jour, et je dois bien avouer que si je ne m'étais pas trompée (j'ai toujours trouvé que t'avais un style de ouf), je n'imaginais pas que ton écriture puisse prendre cette dimension-là.
L'art de la description. Et se connaître. Se regarder sans fausse pudeur.

je fais des blablabla (parait que je suis très forte pour ça :p), mais je voulais juste te dire que je suis sur le cul des mots que je viens de lire...

-f a dit…

Yo !
La lecture de ton/tes commentaires me fait rosir de plaisir... J'imaginais jamais lire ce genre de réactions !! Merci, merci, merci encore... Pour répondre un peu à ton interrogation, il y a surtout de la tricherie et des inventions ici... Autre chose, pour sûr, c'était le but, donc ça fait vraiment plaisir si c'est ressenti comme tel... Mille mercis, vraiment pour tes commentaires qui font TROP plaisir...